Montréal. sept heures moins le quart ce matin. l'aube. je suis sortie boire un thé sur la rue. les départs sont toujours annoncés par des insomnies matinales. demain: aéroport, avion, Bruxelles.
comment clôturer? par un soleil très dense dans un ciel très bleu ce matin, par une soirée musicale sur le perron avec Charlotte hier soir, par le synthé que je vais aller revendre tout à l'heure, par comment je vais dépenser cet argent...par les au revoir discrets au lieu et au monde. par la certitude légère que je n'ai pas fini d'en découdre avec ce pays.
je lègue au Québec le bout de dent que l'on m'a arraché hier. maigre présent face à ce que je dois avoir engrangé ici...Montréal protège en son sein DEUX Urban Outfitters et au moins TROIS American Apparel...une dent..., maigre présent contre tout ce que cette ville m'a apporté...
outre mon Fashion Revival, des choses doivent avoir changé, mûri en moi. peu importe quoi. j'ai cependant souvent été interpellée par la nécessité de laisser le temps faire, de ne pas le brusquer. en voyage, on a beau être seul et disponible à la rencontre, dire «oui» à tout ce que l'on nous propose, on a beau se jeter dans l'inconnu, lâcher prise sur ses repères, il faut du temps. du temps pour construire des liens plus que sympathiques ou amusants, du temps pour aller chercher les gens là où ils sont vraiment et pour se laisser circonscrire à son tour. ce constat est banal mais il donne beaucoup de sens à un retour que l'angoisse de la vie réelle m'aurait bien fait différer. il m'indique simplement où est ma maison.
chez moi, c'est où j'ai eu le temps de refaire le monde, de prendre des décisions, le temps d'aimer, de me décourager, de trouver des solutions, de me créer des problèmes, de m'ingénier à les résoudre, de faire des pasta fredda envers et contre tous, de me disputer, de me réconcilier; où j'ai eu le temps de grandir et de commencer à vieillir un peu.
quand au coin du jour on est face à un champ d'asperges argenté, quand on se dit que rentrer c'est aussi retrouver les contraintes et les petits démons quotidiens alors qu'ici tout semble tellement plus simple... il se passe des choses étonnantes... dans un bar breton des amis complètement séchés hurlent dans le combiné d'un téléphone. je ne comprends pas la moitié de ce qu'ils disent mais je tremble. littéralement, je tremble. puis je crie moi aussi.
chez moi c'est où le temps m'a été donné de nourrir des hystériques comme ceux-là et de me rassasier d'eux.
je le savais, mais vu d'ici, ça prend un relief impressionnant.
je suis une maudite chanceuse.